Chirurgie esthétique et injonctions

(Ou la partie 2 du « petit traité de l’indignation à l’usage de mes ami.e.s. »)

Depuis deux jours, la toile, TikTok en particulier, est secouée par l’annonce du décès d’une jeune femme. Son décès serait dû à une complication faisant suite à une opération de chirurgie esthétique.

Mettons-nous d’accord, tout de suite : je n’ai aucune idée de la véracité des faits et ne sais pas d’où vient cette information. Toujours est-il qu’encore une fois, la toile est sens dessus dessous. Des lives, des vidéos, des prises de position toutes plus virulentes les unes que les autres.

Ce qui revient, comme toujours, en boucle, c’est ce fameux rappel : « Prenez vos responsabilités, n’acceptez pas d’être influencées. Pourquoi aller faire une chirurgie esthétique tout simplement parce que X ou Y vous fait telle ou telle autre remarque sur votre physique ? »

Et c’est précisément sur ces injonctions — encore et toujours adressées aux femmes — que je souhaite qu’on s’arrête, quelques minutes, ensemble, en tant que société.

L’essor, la promotion et le recours à la chirurgie esthétique ne sortent pas d’un chapeau de magicien. Ils s’inscrivent dans une construction sociale, économique et médiatique longue. Les standards de beauté, bien loin d’être naturels, sont des constructions sociales qui évoluent et se durcissent. On nous a progressivement habitués à l’idée qu’un corps parfait était atteignable, et que tout écart à la norme était une « imperfection » à corriger. Ce n’est pas une question de « faiblesse » ou de « moutonisme ». Ce n’est pas une affaire de « manque de personnalité ». 

Il ne s’agit donc pas uniquement de choix et/ou de responsabilité individuelle ; cela va bien plus loin que cela.

Le regard que nous portons sur nous-mêmes et notre corps est façonné par la société dans laquelle on vit et évolue, et dont les standards ont changé depuis quelques années, devenant de plus en plus homogènes et exigeants. La mondialisation et l’omniprésence des réseaux sociaux ont amplifié ce phénomène, exposant chacun à des images « filtrées » et « améliorées » de corps prétendument parfaits. Filtres et ame2liorations que j’utilise au quotidien avant de vous partager photos et videos.

Pourquoi cet engouement sous nos cieux ?

Sous nos cieux, il faut dire les choses clairement : la pression sur le corps des femmes est immense. Le teint, les fesses, la taille, les hanches, les seins font l’objet de commentaires constants, de rappels à l’ordre, de blagues soi-disant inoffensives, de critiques déguisées ou frontales. Cette pression s’articule autour de plusieurs facteurs clés :

  • L’influence des réseaux sociaux et des célébrités : Les influenceuses sénégalaises et internationales exhibent des silhouettes « idéales », souvent obtenues ou améliorées par la chirurgie. Cette exposition constante crée une pression pour ressembler à ces modèles, perçus comme des symboles de réussite et de désirabilité. L’effet de mimétisme est puissant, et de nombreuses jeunes femmes aspirent à la même transformation physique.
  • Les standards de beauté locaux et leur évolution : Si certains canons de beauté sénégalais ont toujours valorisé des formes généreuses, il y a une tendance croissante à désirer une silhouette plus « globalisée », avec des fesses et des hanches proéminentes mais une taille fine. Cette dichotomie peut créer une dissonance et pousser certaines à chercher des raccourcis chirurgicaux.
  • La pression sociale : Dans certains contextes, la pression de l’entourage peut être un facteur déterminant. Le désir de « plaire » ou de « garder » son homme, ou de s’intégrer à un certain groupe social où l’apparence est primordiale, peut pousser à franchir le pas de l’opération.
  • Le rôle des cliniques et la publicité agressive : Un facteur non négligeable est la publicité décomplexée et souvent agressive des cliniques de chirurgie esthétique, tant locales qu’internationales. Elles n’hésitent pas à cibler directement les influenceuses sénégalaises, leur proposant des opérations gratuites ou à des tarifs réduits en échange de visibilité. Ces influenceuses deviennent alors des panneaux publicitaires vivants, vantant les mérites de ces interventions et normalisant la chirurgie esthétique auprès de leurs milliers, voire millions d’abonnés. Cette stratégie marketing, bien que lucrative pour les cliniques, met une pression supplémentaire sur les jeunes femmes qui voient ces transformations comme la nouvelle norme, et une porte d’entrée vers une vie meilleure.

Une responsabilité collective

En fin de compte, la question de la chirurgie esthétique est complexe et ne peut se résumer à un simple « choix individuel » ou à un manque de « responsabilité ». Elle est le reflet de pressions sociétales profondes, de l’évolution des standards de beauté et d’un marketing habile. Il est essentiel de s’interroger collectivement sur le message que nous envoyons à nos jeunes femmes et sur les véritables enjeux de cette course à la perfection physique.

Et dans cette chaîne, qui est responsable ? Uniquement celles qui se font opérer ? Ou aussi ceux qui regardent, commentent, jugent, critiquent, harcèlent, et en même temps consomment avidement ces images et ces récits ?

#FondeTalk

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